COMMENT RÉDUIRE CES RUINEUSES PERTES DANS VOTRE SILO
La plupart des pertes au silo sont invisibles et pourtant colossales : 15-20 % du fourrage récolté. Car la règle du tassement et de la couverture hermétique n'est pas respectée.
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CONNAISSEZ-VOUS LA VALEUR DE VOTRE TAS D'ENSILAGE ? Prenons un silo moyen de 12 m x 30 m. On peut raisonnablement y stocker 10 ha d'ensilage de maïs, un fourrage qui s'est négocié, en 2011, aux environs de 1 200 €/ha. Ajoutons à cela le coût du chantier avec l'ensileuse dix rangs (190 €/ ha), quatre remorques (140 €) et deux tasseurs (75 €), soit une facture de 405 €/ha. Ce silo de maïs vaut donc 16 050 €.
Une coquette somme qui peut fondre de manière conséquente avant d'arriver jusqu'à l'auge. À l'éleveur de faire les bons choix pour perdre le moins possible. Car certaines déperditions de matière sèche dans un silo sont inévitables. Elles sont la résultante des différentes phases de fermentation et donc invisibles.
LES MOISISSURES SIGNENT D'AUTRES PERTES
« Lorsque les conditions de récolte sont bonnes, soit un taux de MS proche de 35 % et un tassement maximum, ces pertes inévitables de MS se situent à 5 % pour le maïs et 8 % pour l'herbe. Les pertes en énergie nette sont plus élevées, respectivement de 7,5 et 12 %, car les mauvaises fermentations consomment des nutriments de haute valeur énergétique comme les sucres », précise le docteur Joseph Pflaum, chercheur allemand, grand spécialiste de la conservation des fourrages.
Pour comprendre où se situent les pertes et comment les éviter, rappelons que la conservation d'un fourrage par ensilage connaît quatre phases.
La première commence dès la conception du tas. La respiration des cellules de la plante utilise l'oxygène présent dans le tas pour brûler des sucres en dégageant de la chaleur. Plus on tarde à confectionner le silo et à le couvrir, plus on perd de MS et d'énergie. Une fois la bâche posée, l'oxygène se raréfie rapidement. Cela bloque le développement des levures et des moisissures, et enclenche la phase de fermentation bactérienne. Le défi ici est de favoriser les bactéries lactiques qui, à partir des sucres solubles, permettent une baisse rapide du pH, sans consommer beaucoup d'énergie. Elles bloquent ainsi les fermentations indésirables, acétiques et surtout butyriques qui, à l'inverse des précédentes, entraînent des pertes importantes en MS. « Les pertes liées aux fermentations butyriques sont de2 à 3 %, elles peuvent atteindre 12 % sur de l'ensilage d'herbe », avance Joseph Pflaum. Ces bactéries lactiques ont besoin de sucres et d'une absence rapide d'oxygène. La phase de stabilisation intervient un mois après la couverture pour le maïs et deux mois pour l'herbe. Elle peut durer plusieurs mois si le silo est bien étanche. Au moment du débâchage, le front du silo est à nouveau exposé à l'air, et levures et moisissures peuvent reprendre leur activité et provoquer un échauffement avec des pertes en MS, là aussi très importantes si le silo est poreux ou si le front d'attaque n'avance pas assez vite.
NE PLUS PERDRE 1,5 HA SUR LES 10 HA RÉCOLTÉS
« Les pertes de MS sur un silo se situent dans une fourchette de 10 à 25 % et celles en énergie de 15 à 39 %. Les pertes évitables les plus importantes sont de loin celles par réchauffement et moisissures. Elles sont principalement dues à un tassement et une couverture insuffisants, mais aussi à l'avancement trop lent du front d'attaque », assure Joseph Pflaum. Les moisissures sont souvent la seule perte visible par l'éleveur, mais elles signent un gaspillage beaucoup plus important. Dans un maïs faiblement tassé (moins de 150 kg/m3), l'air circule facilement. Il est fréquent d'y mesurer une température de plus de 45°C dans les premiers soixante centimètres du front d'attaque, c'est là une perte d'énergie colossale.
La règle d'or d'un bon ensilage est l'absence d'oxygène pour arriver à un pH bas (inférieur à 4 pour le maïs). L'enjeu est de ramener les pertes de 25 à 10 %. Autrement dit, ne pas perdre 1,5 ha sur les 10 ha récoltés. Ce constat étant fait, les dépenses nécessaires ensuite à une bonne conservation paraîtront ridicules.
Tous les spécialistes de l'ensilage des fourrages sont unanimes : le point le plus délicat, celui qui fait le plus de dégâts, c'est un tassement insuffisant lors de la confection du silo. L'air emprisonné et celui entrant dans un silo mal tassé va contrarier le démarrage de la fermentation lactique. Le pH descendra moins, les levures et les moisissures qui se seront développées se réactiveront à l'ouverture.
Les techniciens de la coopérative Terrena ont observé près de deux cents silos en trois ans. « Ils sont souvent mal tassés. Avec des ensileuses de huit à douze rangs, le fourrage arrive au silo trop rapidement. Nous avons observé que le nombre d'engins pour tasser est lié au débit de l'ensileuse. Si pour un débit de 1 ha/h, un tracteur suffit, il en faut trois pour 3 ha/h, ce qui est plutôt rare. Ces dernières années, nous constatons une amélioration du tassement. Nous avons même des tassements corrects avec des ensileuses de douze rangs. Les agriculteurs ont adapté leurs chantiers et remplissent deux silos simultanément. Il faut que le jour de l'ensilage, l'éleveur reste maître chez lui et ne se laisse pas imposer le rythme du chantier par le conducteur de la machine. Une heure d'ensileuse coûte moins cher que les pertes liées à un silo mal tassé. C'est pernicieux car la majorité de ces pertes ne se voient pas », explique Christian Nicolas, du service agronomie de Terrena.
PAR COUCHES DE 20 CM
Mais dans un même contexte, certains éleveurs s'en sortent mieux que d'autres. La règle est de réussir à construire le silo en couches fines d'environ 20 cm d'épaisseur. « Je dis souvent que la méthode, c'est d'étaler et de tasser, et non pas de pousser le fourrage, puis de le tasser. Je constate que ceux qui utilisent des télescopiques font souvent un meilleur travail, car l'engin est incapable de monter sur un tas avec une forte pente. Ils ont donc tendance à étaler davantage le fourrage », ajoute Christian Nicolas. Dans le même ordre d'idée, les pneus à basse pression des gros tracteurs, conçus pour préserver les sols, tassent moins bien qu'un vieux tracteur pourtant beaucoup plus léger. Augmenter la pression des pneus est une solution peu coûteuse et efficace. Évidemment, plus le silo est haut, plus les couches inférieures seront comprimées. En dessous d'une couche de 1,50 à 2 m d'épaisseur d'ensilage, la densité est en général correcte. Mais il faut ensuite être très vigilant au tassement de la partie supérieure du silo. « Cela reste un point noir. Il y a eu peu d'amélioration de tassement de la partie superficielle », note Christian Nicolas.
Les éleveurs astucieux s'organisent alors pour terminer la récolte dans les parcelles les plus petites, les plus éloignés ou les moins avancées en maturité afin d'éviter des taux de MS supérieure à 37 % sur le dessus du tas, la zone la plus sensible. Rappelons que le taux idéal pour un ensilage maïs se situe entre 32 et 37 %. Au-dessus, on enferme beaucoup d'air dans le fourrage avec un risque de moisissures car le tassement est moins efficace. En dessous, on favorise les fermentations butyriques avec un risque de pourriture. Dans ce cas, le tassement n'est plus la solution, car les bactéries butyriques (anaérobie) ne tolèrent pas l'oxygène. Seule une acidification rapide est capable de les contenir.
Avec une récolte d'ensilage maïs importante comme en 2011, beaucoup d'éleveurs ont tendance à monter le tas très haut au-dessus des murs du silo-couloir. Impossible alors de bien tasser cette taupinière perchée à plus de 3 m. Un mètre au-dessus du mur devrait être un maximum. Ensuite, il est préférable de prévoir un petit silo-taupinière à côté.
UNE VITESSE D'AVANCEMENT SUPÉRIEURE À 20 CM
« Un bon tassement doit aboutir à une densité de 240 kg de MS/m3 au coeur du tas. Mais sur les cinquante derniers centimètres du silo, la densité est de 30 % inférieure, souvent beaucoup moins (- 50 ou - 60 %)si le travail n'a pas été soigné. À 120 kg de MS/m3, voire moins, la reprise en fermentation à l'ouverture est quasi certaine sur la partie supérieure du silo. »
Ce technicien de terrain remarque aussi que même des ensilages de maïs correctement tassés et hermétiquement couverts peuvent chauffer après l'ouverture du front d'attaque. Les caractéristiques des hybrides modernes, qui ont une capacité remarquable à rester vert en fin de cycle (stay-green), pourraient expliquer cette fragilité. La partie tige-feuilles est plus riche en sucres solubles et un taux important de sucres résiduels dans l'ensilage après la fermentation alimente le développement des levures en présence d'oxygène. Les maïs d'aujourd'hui sont certes beaucoup plus digestibles, mais aussi plus délicats à conserver. Une raison de plus pour être irréprochable en garantissant une anaérobie rapide. Face à ce risque d'échauffement, la vitesse d'avancement quotidienne est un autre facteur important. Il est préférable de se situer largement au-delà de la norme de 10 cm en hiver et 20 cm en été pour conserver une marge d'adaptation. « La tendance est d'avoir des silos trop larges. Neuf à onze mètres devraient être un maximum tout en gardant la possibilité de tasser avec deux tracteurs. »
Pour des ensilages fragiles (MS élevée, avancement lent de front d'attaque), l'utilisation d'un conservateur à base de bactéries lactiques (Lactobacillus buchneri) peut être intéressante. À condition d'assurer une parfaite anaérobie : tassement et bâchage efficaces.
NE PAS FAIRE DES ÉCONOMIES SUR LA BÂCHE
Autre point faible générateur de pertes importantes : une couverture peu hermétique à l'air. Le mauvais réflexe est de vouloir faire des économies sur les matériaux utilisés (bâches et lestage), alors que leur coût est ridicule en comparaison de la valeur de l'ensilage. Il faut commencer par s'assurer de la qualité de la bâche en évitant les premiers prix et en choisissant au minimum des bâches labellisées (voir encadré p. 30). Ensuite, les méthodes de couverture des silos n'ont pas toutes la même efficacité. La plus courante, qui utilise une seule bâche neuve, apparaît nettement insuffisante pour limiter les pertes.
La méthode dite bavaroise, utilisée par la quasi-totalité des Allemands, mériterait de devenir la norme en France. Elle utilise une bâche fine de 40 μ, très souple, qui épouse parfaitement les aspérités de surface du silo, ne laissant aucune poche d'air. La bâche supérieure, plus épaisse (150 μ), complète l'étanchéité à l'oxygène et la protection aux UV. Une grille ou un géotextile limite les risques de perforation. C'est une couverture efficace à un prix raisonnable. La coopérative Terrena propose une méthode voisine (Oxystop), mais avec une bâche fine haut de gamme, particulièrement imperméable à l'oxygène. Cette protection efficace, mais plus coûteuse que la précédente, ne se conçoit que sur un silo parfaitement réalisé et un maïs avec une matière sèche supérieure à 32 %. Inutile de placer une bâche hermétique à l'O2 sur un tas poreux. Ce film barrière à oxygène a besoin d'être protégé contre les UV. C'est pourquoi on l'associe à une protection en polypropylène tissée. Enfin, quelle que soit la méthode choisie, la bâche de mur est indispensable dans les siloscouloirs. Dernière précaution : le lestage qui maintient les bâches et empêche ainsi l'air de pénétrer sur les côtés. Sur un silo correctement fermé, donc imperméable aux gaz, la bâche aura tendance à se gonfler les premiers jours, sous l'effet du gaz carbonique produit par les fermentations. Gaz carbonique qui, au passage, est un conservateur gratuit.
LESTER SOIGNEUSEMENT DEVANT LE FRONT D'ATTAQUE
Les pneus usagés ont longtemps tenu la vedette sur les silos. C'est pourtant une corvée à placer et à retirer, peu esthétique et parfois dangereux. En se dégradant, la structure métallique des pneus perfore les bâches et pollue le fourrage de corps étrangers dangereux pour les animaux. Les pneus seront avantageusement remplacés par des sacs à silo en polyéthylène tissé. Reste à pouvoir s'en débarrasser (voir ci-dessus). Les sacs à silo ont une durée supérieure à cinq ans, à condition de bien les utiliser : ne pas les remplir avec du sable qui se gorge d'eau et gèle, mais avec des graviers ronds non abrasifs, et les stocker sur une palette à l'abri. Ces sacs ne doivent être remplis de gravier qu'aux trois quarts, de façon à leur laisser une certaine souplesse qui leur permettra d'épouser les reliefs du silo et d'avoir une surface de contact plus large. Ils sont disposés sur le pourtour du silo et la largeur, une bande tous les 5 m. Après l'ouverture du silo, ces sacs serviront aussi à protéger le front d'attaque en évitant que trop d'air passe sous la bâche. C'est particulièrement important quand on utilise une seule bâche de 150 μ. Ces cheminées d'air horizontales réalimentent alors les levures en oxygène sur une grande profondeur.
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